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17/06/2022

Lettre aux femmes de ma vie

Lettre aux femmes de ma vie
17/06/2022

Lettre aux femmes de ma vie

Chères Marie-Denise, Marie et Joe,

Il y a longtemps que je vous aime :  avant même de connaître vos noms ou même vos visages, il y a d’abord eu vos voix, flottant quelque part entre les soupers du dimanche, les vendredis à écouter La Fureur avec maman et les longues balades en voiture. Des souvenirs qui goûtent la sauce à spag’ et le macaroni tout garni, une enfance bercée à laquelle je reviens un peu toujours.

En février dernier, je me souviens rentrer chez moi un dimanche soir, le cœur fatigué d’un hiver qui s’acharne. J’avais terminé de travailler plus tard qu’à l’habitude et la 97 avait filé devant mes yeux. Question de ne pas rater une seule seconde de mon rendez-vous dominical préféré depuis 2003, c’est dans la plus grande des presses que mes pas s’étaient enchaînés sur une Mont-Royal couverte de neige. Une fois arrivée dans mon 5 1⁄2 mal chauffé, je me suis aussitôt glissée sous mes couvertures, une tisane à la menthe poivrée à la main, Star Académie sur mon ordinateur et Marie qui me chante L’aigle noir à travers mon écran : une accalmie en pleine tempête. En pyjama dans mon lit, je vivais un moment royal. Je vous observais, les ailes déployées et vêtues de vos plus beaux habits, me chanter avec aplomb ces chansons que je connais par cœur sans même me rappeler les avoir un jour apprises. Toutes les trois, plus grandes que nature, figées dans une jeunesse éternelle. Un dimanche soir en février dernier, je me souviens ne plus avoir peur de vieillir.

Pour une histoire d’un soir

J’ai du mal à me rappeler du jour exact de notre première rencontre ; c’est que vous avez toujours un peu existé. Il y a longtemps que j’ai l’impression de vous connaître, comme une membre de la famille éloignée que l’on a jamais vraiment croisée, mais chez qui la porte demeure toujours ouverte. Je me rappelle toutes ces soirées, du haut de mes 4 ans, à essayer de m’endormir alors que mes parents étaient parti.e.s souper avec des ami.e.s. Mes frères avaient beau tout essayer, les histoires et les promesses de friandises,  il n’y avait rien à faire : j’étais inconsolable. À chaque fois, je synthonisais le 107,3 FM sur la vieille radio posée sur ma table de chevet. Rock Détente, la seule source d’apaisement me permettant de laisser libre cours à mes élans mélodrames. 

« Pour une histoire d’un soir, avoir envie de changer de vie »

Marie-Denise me chantait ces paroles à l’oreille et il ne m’en fallait pas plus pour être complètement terrorisée par la possibilité que maman et papa ne reviendraient peut-être jamais à la maison. Trouble de l’attachement, me direz-vous. Probable. Mais malgré l’angoisse et la peur qui m’habitaient à chacune de ces soirées me paraissant interminables, mes parents me retrouvaient toujours endormie à leur retour, plongée dans les rêves les plus doux. C’est que vos voix auront su bercer des générations entières.

Tous les cris, les S.O.S.

École Georges-Étienne-Cartier, Gatineau, mai 2007. C’était le spectacle de talents de mon école primaire et tout le voisinage était rassemblé dans le gymnase où j’avais couru le matin même mon tout premier beep test. Entre un tour de magie et un numéro de danse sur Évangéline d’Annie Blanchard, c’était maintenant au tour de mon amie de se lever d’une chaise aux pattes munies de balles de tennis pour aller déposer son cédérom dans la radio. 

« Comme un fou va jeter à la mer, des bouteilles vides et puis espère » 

Complètement charmée par la mélancolie de la chanson, je m’étais aussitôt imaginée sur le bord de l’eau, pliant en quatre une lettre froissée destinée à mon crush inavoué du moment, Zachary de son prénom, et la glisser dans une bouteille (vous comprendrez que mon faible pour le drame et tout son cinéma ne m’a jamais vraiment quitté). De retour à la maison, je m’étais précipitée à l’ordinateur à la recherche du génie derrière cette œuvre grandiose pour finalement découvrir la version de Marie-Denise. D’abord impressionnée, je n’avais toutefois été en mesure de préserver mon admiration de tout soupçon de jalousie. Il fallait me rendre à l’évidence : j’avais beau faire toutes les vocalises du monde entier, jamais je n’allais être capable d’atteindre les notes du refrain avec autant de grâce. Déjà, vous étiez à mes yeux des reines indétrônables.

Repartir à zéro

Des années plus tard, je prenais la route, le coffre arrière débordant de boîtes et de sacs de vêtements. Après une première année universitaire à Montréal, je troquais maintenant la grande ville pour la contrée lointaine des Cantons-de-l’Est. En montant dans l’auto, j’ai mis la radio et j’ai monté le son (ne vous détrompez-pas, ce n’était pas un poste country : j’étais quelque part sur la 10, et non sur la 20). 

« S’inventer un pays qui n’appartient à personne »

L’onirisme de Joe m’emplissait la poitrine alors que je laissais voguer ma main à travers la fenêtre baissée. Changeant de programme d’études et laissant derrière moi un amour déchu, c’est le cœur rempli de promesses que je m’en allais hors-la-loi, droit vers un nouveau monde. J’aurai finalement quitté Sherbrooke environ un mois plus tard, ayant rapidement réalisé que c’était loin d’être mon jardin d’Éden. Un périple peu glorieux. Sur le chemin du retour, le coffre arrière débordant de boîtes, de sacs de vêtements, mais surtout, d’amertume, j’aurai fait jouer la voix de Joe à nouveau. Peu importe les aléas et tous les détours, vous m’aurez donné la confiance que ma place n’attendait qu’à être trouvée.

Marie-Denise, Marie et Joe, mon amour pour vous s’étend bien au-delà du péché mignon et des soirées karaokés sous le signe de la nostalgie. Rassurez-vous, je suis la première à monter sur scène pour crier que ça m’sert à rien et que j’connais déjà le chemin, comme toute fan de culture pop québ qui se respecte. Mais pour moi, et pour plusieurs autres, c’est beaucoup plus que ça. C’est que vous aurez signé la bande sonore de tellement de moments, les petits comme les grands. 

Le 9 juillet prochain, vous me verrez au fond du Chapiteau Québecor de Grande-Vallée, un verre de rouge à la main et les yeux noyés dans l’eau. Je ne serai pas triste, au contraire. Émue par la puissance de votre sororité, je ne vous quitterai pas du regard. En cette dernière journée de frénésie festivalière, je serai probablement fatiguée, certes, mais vous me permettrez de me déposer enfin : je serai à la maison, quelque part entre les soupers du dimanche, les vendredis à écouter La Fureur avec maman et les longues balades en voiture. Le 9 juillet prochain, je vous dirai merci. 

À bientôt,

Votre plus grande admiratrice

xx

P.-S. Pour me voir essuyer des larmes à toutes les 2 secondes et demi (approximativement) le 9 juillet prochain, mais surtout pour avoir la chance d’assister à un spectacle historique de trois grandes interprètes ayant marqué le paysage musical québécois, il suffit de cliquer ici.